ROLAND SABATIER lettrisme

 
 

DU SOULEVEMENT DE LA JEUNESSE

A LA CARTE DE LA CULTURE

par Roland Sabatier


La relation révolte et jeunesse trouve son explication profonde en même temps que sa justification scientifique dans le Traité d'Économie Nucléaire. Le Soulèvement de la jeunesse d’Isidore Isou, dont le premier tome, consacré au Problème du bicaténage et de l’externité, fut publié en 1949 aux Escaliers de Lausanne.


L'ouvrage surprend, par sa densité d'abord, mais surtout parce qu'il se développe autour d'un problème tenu pour inexistant ou minimisé pour l'économie passée, et qui se dévoile, là, comme son problème majeur, fondamental. Ce problème, c'est celui en raison duquel, nous le comprenons mieux aujourd'hui, toute organisation sociale et économique reste faussée, imparfaite, voire impossible.


La vision nouvelle de l’économie s'élève d'abord contre les théories antérieures, d'Adam Smith à Keynes et Karl Marx, qui tenaient tour à tour les différentes classes du circuit de l'échange des biens et des services, depuis les paysans jusqu'aux entrepreneurs en passant par les ouvriers, pour des catégories "dynamiques" ou "révolutionnaires". Pour la conception de l’économie nucléaire toutes ces classes sont envisagées comme des catégories internes, c'est-à-dire, statiques, dans le sens où elles sont intégrées dans des structures acquises des moyens de réalisations productives et de consommation. La capacité d'évolution de ces agents actifs se réduisant à la simple revendication susceptible d'aboutir à l'amélioration de leurs conditions de travail ou à l'augmentation de leurs revenus.


Ce circuit ainsi constitué, et envisagé comme tel par l'ensemble des économistes précédents, prend en charge et supporte littéralement, comme une frange marginale, inéconomique, la masse immense de millions d'individus qui gravitent autour de lui, cela, sans en occuper les places et les métiers donnés, par incapacité à accéder à ces places, ou pour les refuser dans l’espoir de parvenir à des emplois supérieurs.


Pour l’économie nucléaire, cette masse d’individus représente les externes. Elle est constituée, en partie, par les agents actifs, mécontents de leur sort ou exploités, condamnés à effectuer des efforts gratuits pour progresser à l’intérieur du marché; mais, surtout, par les jeunes, dépourvus de libre disposition sur les biens, dépendants de leurs parents, et dont les énergies sont dilapidées dans des scolarités interminables avant de s'épuiser dans la surexploitation hiérarchique que lui impose le circuit.


La révolte de la jeunesse, naît et se nourrit de cette situation.(1).


A son désir de pénétrer le plus tôt possible dans le circuit où le jeune veut gagner son autonomie, continuellement, le circuit lui oppose un refus ou retarde sa venue au nom d’études et d’apprentissages gratuits, inutilement longs.


Si certains se résignent, d’autres utilisent leur souffrance comme une force dynamique capable de s’accomplir à leur profit contre le système établi. C'est dans la créativité que se manifestera cette force, et c'est par elle que se réussira la libération des externes. Son déploiement bouleversant s'accomplira selon deux voies possibles: la créativité pure, représentée par l’apport multiplicateur d’inventions et de découvertes, ou la créativité détournée, traduite par les agissements destructeurs de richesses, comme le banditisme, les guerres ou les révolutions. C'est en cette capacité transformatrice que la présence des jeunes incarne depuis toujours une menace permanente pour le circuit constitué et pour les agents économiques en place.


C’est cette force, auparavant attribuée injustement à d’autres classes sociales, qui représente, pour la conception neuve de l’économie, le réel et unique moteur du progrès et de l’Histoire. Pour l'avantage de tous, il y a lieu de la favoriser, et non de la contrarier et de la repousser comme cela se produisait précédemment.


L'intégration naturelle et rapide de la masse de millions de détachés est la condition première, pour l'économie nucléaire et le soulèvement de la jeunesse, d'une société élargie s'ouvrant sur le maximum du plein emploi possible dont le fonctionnement harmonieux et la richesse décuplée seraient garantis par la perte même de la raison d'être de la créativité détournée menant à la constitution de classes sociales opposées et au destructeur "conflit des générations".


Les solutions préconisées et défendues par la conception économique nouvelle consistent dans l'établissement structuré d'un protégisme juventiste. Sa mise en oeuvre porte principalement sur la réforme de l’école, qui doit être réduite dans sa durée et modifiée dans son contenu pour augmenter dans un temps plus court le savoir acquis et futur des élèves, et surtout pour éliminer la sélection artificielle dans le but d'abolir les barrages établis par les agents actifs; la mise en place d'un crédit de lancement offert aux nouveaux venus et destiné à faciliter la promotion d’entreprises nouvelles; l’organisation d'une planification intégrale ouverte à tous les représentants de la population, interne et externe; et, enfin, l’établissement d’une dépolitisation progressive des structures de l'état qui ne s'obtiendra que par la réduction des mandants des élus et la rotation aux postes de responsabilité.


Les tomes suivants du Soulèvement de la Jeunesse d'Isidore Isou, traitant de La dynamique de la créativité pure et détournée et de La solution du protégisme juventiste, sont parus plus tard, à partir de 1971 (2).


Mais, entre temps, leur auteur a fait publier un grand nombre d'articles et, notamment, plusieurs ouvrages étudiant les rapports particuliers entre différents groupes (3). Régulièrement, au cours de conférences et d'exposés, le créateur de l'économie nucléaire propageait ses idées, tour à tour reprises et développées par lui-même et plusieurs de ses partisans, dans le cadre d'actions, de revues et de journaux nombreux dédiés à la propagation et à la défense de l'externité et du soulèvement de la jeunesse.


Des revues comme Front de la Jeunesse, de 1950, reprise en 1955 et 1956, Soulèvement de la Jeunesse, de 1952 à 1953 et de 1966 à 1968, L'Union de la Jeunesse, de 1966, pour ne citer que les plus importantes, de même que l'article publié dans Combat, en 1967, sans cesser d'élargir le rayonnement de la vision générale du système inédit, s'attachaient à en manifester leurs implications relatives à des problèmes d'actualité.


En mars de cette même année 1967, l'Union de la Jeunesse et de l'Externité présentait un candidat aux élections législatives dans la 8e circonscription de Paris, où se présentait, également, François Missoffe, le ministre de la jeunesse et des sports de ce moment. Simultanément, au cours de cette période, des appels, demandes d'association et de réflexions communes sur des sujets cruciaux, étaient envoyés à l'adresse des responsables successifs des partis politiques en place, aux dirigeants des différents corps de l'Etat et aux économistes les plus en vue.


Avec de nouvelles conférences dans des Universités, comme celle de Nanterre, au début de l'année 1968, de même que différents contacts pris avec les dirigeants de l'UNEF, toutes ces actions ponctuelles constituent des faits qui, sur de nombreux plans, ont contribué à vulgariser la nouvelle conception économique, rendant ainsi perceptible aux jeunes la double force spécifique, créatrice et destructive, qui est la leur. Car cette perception, même détachée de sa source et de ses fins, on la retrouve, dans cet avant mai 1968, à travers les manifestations internationales de mouvements contestataires des jeunes et des étudiants ainsi que dans les innombrables réflexions ou tentatives d'explications qu'elles ont pu susciter.


Des publications comme La Montée des jeunes, en 1959, puis La Révolte des jeunes (4), en 1970, d'Alfred Sauvy, pour ne citer que lui, témoignent de cette réalité même si celle-ci est envisagée, là comme chez d'autres, en dehors des données réelles de l'esclavage et de la surexploitation de la jeunesse, sous les angles superficiels de "l'observation" sociologique ou simplement statistique (5).


C'est dans cette prise de conscience plus ou moins confuse — par ailleurs, accrue et développée à travers les positions du Soulèvement de la Jeunesse et les déclarations d'anciens membres du mouvement lettriste ayant participé, quelques années plus tôt, à la défense de l'externité, comme les situationnistes (6) devenus les leaders des groupes d'étudiants de l'Université de Strasbourg, — que la révolte de mai 1968 a éclaté en France, conduisant à la désagrégation du circuit social et économique, puis à la crise politique marquée par le départ du Général De Gaulle.


Mais, cette révolte, si elle a montré, en France comme à l'étranger, la capacité des jeunes et des externes à s'unir et à agir pour ses propres intérêts, n'incarne en elle-même qu'une simple étape de la lutte plus large, amorcée dès 1949, du Soulèvement de la jeunesse, basée sur l'économie nucléaire, pour imposer le changement des structures de l'enseignement, de la banque, de la planification et de l'administration du pays (7).


Sur ces revendications précises, inéluctables, et pour lesquelles la lutte doit se poursuivre, la révolte de mai 1968 a laissé la situation inchangée. Les maigres acquis enregistrés à ce moment-là, comme les accords de Grenelle — qui, d'ailleurs, n'ont satisfait que les revendications des salariés —, la libération des mœurs ou les quelques changements matériels ou éthiques intervenus dans l'organisation et le fonctionnement des écoles et des universités, étant plus la conséquence de l'évolution normale de la société ajustée progressivement aux vues des créateurs passés, que celle des événements auxquels on a voulu les relier.


Pensant avoir laissé le vieux monde derrière lui, le camarade du slogan de 1968, se retrouve aujourd'hui épuisé, avec toujours le même vieux monde interne dressé devant lui. De leur côté, sans s'attarder plus qu'il ne le fallait sur les péripéties de cette tentative de révolution où ils ne voient que la preuve de la justesse de leurs analyses, les partisans du soulèvement de la jeunesse ont poursuivi sans relâche leur combat en faveur de la reconnaissance de l'externité pour le changement des structures de la société. De nouvelles publications d'Isidore Isou, parues peu après 1968, en rapport avec l'enseignement et différentes classes sociales, en élargissent le débat (8).


De cette action continue, accomplie au cours de ces trente dernières années, émergent plusieurs faits particulièrement saillants qui marqueront durablement l'histoire future de cette lutte.


C'est, en décembre 1980, la création de l'Université Léonard de Vinci, qui proposait le modèle de l'enseignement créateur nécessaire pour former les jeunes et les sauver du chômage et de la misère. La parution, en 1984, de Histoire du socialisme de l'auteur de l'économie nucléaire (9); puis, à partir de la formation de l'U.J.C.P (Union des jeunes, des créateurs et des producteurs), l'organisation, en février 1986, d'un meeting à la Mutualité, visant au regroupement de la jeunesse en vue de la préparation des législatives, qui a constitué l'assise de la Première réunion du Congrès mondial pour une société d'abondance et de bonheur, tenue le 5 février 1987 dans une salle de La Maison des Artistes. C'est dans le cadre de cette manifestation qu'ont été débattues les propositions pour la réunion des dirigeants et des membres des syndicats étudiants, lycéen, ouvriers, artisans, des associations de petites et moyennes entreprises, du patronat et des personnalités décidées à agir en faveur d'un monde à la mesure de la création advenue dans tous les domaines de la culture et de la vie. Dans la continuité, l'UJCP organisait, au mois de mai de la même année, une conférence d'Isidore Isou sur Les conceptions et les buts du Soulèvement de la Jeunesse et de l'Economie nucléaire dans le grand amphithéâtre de l'Université de Censier.


Un des buts de l'ensemble de ces manifestations était le rassemblement d'un nombre de personnes et d'adhérents suffisants pour soutenir l'action du Mouvement de l'Union des Jeunes et des Créateurs aux élections législatives futures. Cet objectif s'est concrétisé aux élections de mars 1993 auxquelles le nouveau parti politique a présenté quatre candidats dans différentes circonscriptions de Paris.

Plus que jamais, aujourd'hui, et malgré plusieurs alternances de gouvernements de droite et de gauche, la société débouche sur un chômage, une misère, des crises sociales et une délinquance considérablement aggravés.


La gauche, formée de bureaucrates qui prétendent lutter pour l'intelligence et pour la solidarité ne pensent qu'à gagner des voix dans le but de s'enrichir sur le dos des travailleurs et des autres classes de la population ainsi que des jeunes qu'ils crétinisent par les effets d'une démagogie aliénante et démentielle. La droite, de son côté, n'est jamais parvenu à bâtir une société harmonieuse; sa conception de l'individualisme et de la concurrence sauvage, sous prétexte de croissance économique, écrase les coéchangistes les plus faibles, la masse des ouvriers et des employés, aboutissant ainsi, à la faillite de nombreuses entreprises, incapables de soutenir le rythme effréné de rivalité et de conflit, au nom d'une consommation ridicule. La décentralisation, qui a élargi le champ d'opposition et de combat des grands partis politiques, conduit, par la corruption, et l'incompétence, à la dissipation des biens publics, et, en même temps, par la multiplication de structures d'aides sociales, à l'organisation et à la gestion de la pauvreté généralisée.


Cette situation ne parviendra jamais à s'inverser tant que l'on ne généralisera pas la mise en oeuvre des solutions préconisées par le Soulèvement de la jeunesse, et, d'abord, tant que l'on n'agira pas contre l'école dont l'enseignement ne forme que des producteurs arriérés, des êtres dépassés, incapables de répondre aux exigences réelles de la vie et, surtout, inapte à satisfaire aux nécessités de reconversion des métiers, de recyclages rapides d'une fonction à une autre, que le progrès et les crises économiques imposent à notre société. La "misère du monde" sur laquelle les sociologues font leurs beaux jours résulte de la misère de l'éducation sur laquelle les sociologues, souvent eux-mêmes professeurs, restent aveugles et muets(10).


Le ratage survient chaque fois que s'établit une non-coïncidence entre l'éducation reçue par le jeune et les besoins réels, présents, d'une société.


Les gouvernements successifs semblent de plus en plus conscients de cette réalité. Mais les réformes qu'ils proposent régulièrement portent sur des aménagements toujours aussi dérisoires et toujours aussi démagogiques qui laissent inchangée la cause véritable du mal éducatif, à savoir le contenu arriéré et fragmentaire, constitué de bribes non reliées entres elles et la durée anormale, inutile, de l'enseignement actuel. D'ailleurs, les étudiants et les lycéens, au cours des dernières manifestations retentissantes de 1983, de décembre 1986 et de juin 1994, n'ont pas tardé à s'opposer à ce genre de mesures gouvernementales pour en dénoncer la finalité implicite qui ne visait qu'à aboutir à la gestion de la sélection.


Les véritables ennemis de l'enseignement sont les enseignants eux-mêmes qui sont les propagandistes de la culture dépassée et falsifiée de la société actuelle. Quand on sait que l'inégalité des fonctions et des rémunérations trouve sa source dans l'école et sa formation, on comprend qu'il est urgent que les professeurs mettent fin à leur corporatisme aveugle et stupide, qui les maintient dans leur état de médiocrité, pour se mobiliser en faveur d'un ralliement avec les mouvements créateurs qui les transformeront en des créateurs polytechniciens répandant et jouissant eux-mêmes des richesses immenses de la société d'abondance que seuls les novateurs peuvent définir et concrétiser. Quand on pense que ce sont les professeurs actuels qui décident des programmes scolaires et universitaires ainsi que de leurs interprétations générales, on mesure l'écart qui existe entre la création et l'évolution réelle des connaissances et l'enseignement.


Comment l'école peut-elle changer si on ne commence pas par changer les professeurs aux postures savantes qui culpabilisent l'Etat et les fonctions complémentaires de la nation au nom d'un savoir ridicule, inutilisable, tout en traitant de haut ou en méprisant les mouvements d'avant-garde qui élargissent le savoir ? Quels changements bénéfiques peut-on espérer de “maîtres” sclérosés qui se complaisent à interpréter ce qui n’existe pas et à nier ce qui est évident? Qu’attendre de ces soi-disant “pédagogues” aux pratiques didactiques érigées en théories impénétrables et obscurantistes qui placent un arbitraire “savoir méthodologique” au-dessus de tout Savoir et de toutes les Connaissances ?


Le seul et authentique rôle de l'éducation est de donner aux élèves, le plus rapidement possible, les explications des meilleures connaissances théoriques et pratiques des domaines culturels et quotidiens et de faciliter l'apprentissage de l'utilisation personnelle de ces connaissances en vue d'occuper les meilleurs emplois économiques possibles pour permettre l'amélioration permanente de leur être et de leur situation. L'enseignement le plus complet restant celui qui offrira aux élèves les connaissances des créateurs passés et présents de ce savoir. Or, malgré les quelques améliorations survenues depuis mai 1968, l'enseignement actuel continu, toujours, à dispenser, dans le mépris de la vision réelle et totale de l'homme et de ses rapports sociaux authentiques, des versions interprétées, réductives et inférieures, des imitateurs ou des auteurs antérieurs sans cesse dépassés par des novateurs plus récents. De la même manière, en ne réduisant toujours pas la durée du cursus scolaire et universitaire, cet enseignement a pour effet de ralentir et d'entraver la formation spirituelle des élèves qui, à l'issue de leur scolarité, se révèlent incapables de profiter des valeurs et des biens acquis, et, à plus forte raison, des valeurs et des biens inédits que l'obscurantisme éducatif leur a appris à ignorer ou même à combattre.


Du point de vue d'un enseignement idéal, axé sur l'offre et sur l'apprentissage des meilleures théories et pratiques dévoilées par les créateurs successifs dans l'ensemble des dimensions du savoir et de la vie, l'enseignement actuel apparaît comme une véritable structure d'abrutissement n'ayant d’autres buts, en raison de la sélection qu'elle provoque, que de ralentir l'entrée des jeunes dans le circuit et de réduire la concurrence.


Intrusive par son contenu fragmentaire et inactuel; persécutante par ses examens, sa durée et sa sélection constante, l'école d’aujourd’hui est vécue comme répugnante en tant qu'elle est le désir borné, imposé de l'extérieur aux élèves par une caste de pédagogues arriérés.


C'est cet enseignement inadapté qui est avant tout responsable du moindre progrès technique, du bas niveau de vie et de la constitution de la masse croissante de chômeurs formant les mécontents toujours poussés vers les mouvements de révolte.


Ce ne sont pas les jeunes et les futurs créateurs qui doivent se plier aux exigences des producteurs. Ce sont les producteurs qui doivent s'ajuster aux nécessités de la jeunesse et des externes d'où surgira la novation spirituelle et pratique.


Vivre, c'est être confronté, volontairement ou à son insu, à un ensemble de domaines qui nous dépassent et dont nous souhaitons extraire le plus de satisfactions possible. Face à l'expansion permanente, inéluctable, des connaissances théoriques et pratiques qui convergent vers nous, le premier devoir de l'école et de l'université est de guider les êtres dans la recherche de ces satisfactions. Cet objectif ne peut être atteint sans une vision exacte et intégrale du savoir et de la vie embrassant les contenus réels, constitués en étapes quintessencielles, des disciplines de la Théologie, de l'Art, de la Science, de la Philosophie et de la Technique.


C'est cette vision qui entre en jeu dans la meilleure formation des êtres et dans leur plus pertinente perception des valeurs. En facilitant l'accès à toutes les parties existantes du savoir et en rendant possible le rattachement de chacune à un ensemble cohérent et dynamique où elle trouve sa place précise, la personnalité ne s'envisage plus comme perdue, découragée, car elle se fonde sur un passé riche d'expressions vérifiées pour s'engager dans un futur progressiste, ouvert aux satisfactions réelles ou espérées, en vivant un présent rempli de réalisations et d’occupations exaltantes.


Ce point de vue unificateur de l'intégralité du Savoir ne pouvait pas être envisagé par des professeurs imitateurs ou des ""pédagogues", eux-mêmes égarés dans la complexité de ce savoir, dont les plus honnêtes avouent ne maîtriser que quelques bribes délayées. Il ne pouvait être forgé que par un créateur authentique, doté d'une méthode de création, que le besoin de découvrir et d'inventer dans le plus grand nombre de terrains culturels a conduit à s'interroger sur l'organisation les buts et le classement des composants de la connaissance


Le système intégral de la culture et de la vie, déjà ébauché, dès 1949, dans le Traité d'Économie nucléaire, a été défini, en 1966, par Isidore Isou dans un texte intitulé Instruction aux professeurs sur la création et la Kladologie (11) où, sous ce terme neuf, dérivé de Klados, signifiant branche en grec, il dévoilait la science de toutes les branches du Savoir et de la vie. Des précisions supplémentaires étaient apportées dans des publications ultérieures, le premier Cours des Créateurs (12), en 1968, dans Introduction à une nouvelle conception de la Science (13), en 1973, et plus abondamment encore, dans La Créatique ou la Novatique (1941-1976)(14).


Seule une telle vision, en tant qu'elle offre la carte de tous les savoirs et de toutes les fonctions profondes de notre société, est capable de fixer les secteurs d’activités spirituelles et matérielles tout en définissant les richesses présentes et futures que l'on peut attendre des territoires réel, concrets, qu'elle contient, en évitant les illusions et les pertes de temps. Le but de chaque branche restant, finalement, la meilleure connaissance et le meilleur emploi possible des composants et des valeurs de cette branche.


Tout ce que l'être peut faire, tout ce qu'il peut attendre, réaliser ou espérer est contenu, délimité, dans cette structure générale qui s'impose comme la carte de la culture la plus juste et la plus complète jamais formulée. Cette structure de la Culture et de la vie démontre que toutes les parties du Savoir sont également importantes, que chacune contribue, par les richesses qu'elle recèle, à l'enrichissement, au développement et à l'épanouissement d'une partie de l'être. Cela contrairement aux classements proposés antérieurement, d'Aristote à Hegel en passant par Descartes et Auguste Comte, qui surdéterminaient arbitrairement certaines parties au détriment des dimensions complémentaires qui étaient écrasées ou rejetées.


En posant la carte de la Culture d'Isidore Isou comme un préalable à tout enseignement et à tout apprentissage, on évite le totalitarisme et la confusion d'un enseignement partiel ou d'un apprentissage fragmentaire.


L'actuel ministre de l'Éducation Nationale, Claude Allegre, déclare que pour gagner "la bataille de l'intelligence" d'ici l'an 2000, tous les établissements scolaires, de la maternelle à l'université, devront êtres équipés d'ordinateur ; par ailleurs, d'autres affirment comme une révolution prometteuse que le réseau Internet va mettre un savoir décuplé à la portée de tous. Sans doute, mais quel savoir et quelle intelligence ?


Sans organisation cohérente et juste du savoir réel, sans la distinction entre la création multiplicatrice, la production banale et l'escroquerie mensongère, ces machines aux capacités décuplées, même si elles procèdent à l'empilement de toutes les informations du monde, ne feront rien de mieux que d'accroître la confusion, l'obscurantisme et la non-intelligence.


La bataille de l'intelligence ne sera véritablement gagnée que par l'offre à l'ensemble des élèves et des étudiants, depuis les écoles maternelles jusqu'aux universités, de la Carte de la Culture grâce à laquelle chaque élève et chaque étudiant parviendra à s'emparer des authentiques richesses de chaque discipline. Sinon, nous continuerons à assister au succès des imposteurs du savoir et de la vie et aux déséquilibres entre les richesses d'un domaine et les manques d'un autre qui aboutit au nivellement des valeurs, à la récession et au chaos dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui, malgré la présence des ordinateurs et de l'extension toujours plus grande du réseau Internet.


Si le monde dans lequel nous évoluons s'est accompli au nom de créations quintessencielles dévoilées dans les secteurs déterminés de la connaissance, sa découverte et sa compréhension ne pourront s'accomplir qu'à travers l'assimilation de la Carte de la Culture qui inventorie et situe les unes par rapport aux autres les créations quintessencielles dévoilées par l'ensemble de ces secteurs.


C'est sur ces données que devra s'appuyer, pour l'épanouissement des êtres et pour le bien de la société, la réforme à venir, décisive, de l'école et de l'université. L'économie nucléaire, externiste, devra vaincre là où les économies libéralistes et critiques n'ont pas vaincu.


Roland Sabatier, juin 1998


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NOTES

(1). La jeunesse, disait Jean Cocteau, ne veut qu’une chose: sortir de la jeunesse.

(2). Aux éditions CICK, en 1971. Sont parus, ensuite, Les Suppléments au Soulèvement de la Jeunesse, (Tome 1: Le Désir paradisiaque et l’externité. Ebauche d’une Economie Nucléaire, CICK, 1972; Tome 2: Supplément sur la créativité pure, CICK,1972; Tome 3: Supplément sur la créativité détournée,, Editions G.-P. Broutin, 1986).

(3). La Théorie nucléaire de la planification, Ed. La Librairie anglaise, 1967; La Théorie nucléaire de la monnaie et de la banque, Editions Isidore Isou, Paris 1966; et, Les Manifestes du Soulèvement de la Jeunesse, 1950-1966, Centre de créativité, 1967.

(4). Alfred Sauvy, La Montée des jeunes, Calmann-Levy, 1959; La Révolte des jeunes, Calmann-Levy, 1970.

(5). C’est le cas, particulièrement, de Georges Paloczi-Horvath qui, dans Le Soulèvement mondial de la jeunesse. 1955-1970 (Editions Robert Laffont, 1972), dresse, du point de vue des causes ponctuelles et des faits constitués, un panorama complet des manifestations des jeunes et des étudiants en Europe et sur le continent américain depuis 1955.

Dans le cadre d’une démarche générale analogue, Michel Lancelot va pourtant plus loin dans son ouvrage Le Jeune lion dort avec ses dents. Génies et faussaires de la contre-culture (Albin Michel, 1974) où, dans un chapitre qu’il intitule “Le soulèvement de la jeunesse” (pp. 173-179), il rend compte de l’existence de l’Economie nucléaire, de la Créativité et de la Kladologie d’Isidore Isou, en indiquant explicitement combien par ces apports— comme par bien d’autres, dans les arts plastiques, la poésie, la musique ou le cinéma, etc. —, les lettristes “demeurent une des sources fondamentales de la contre-culture actuelle”. Par ailleurs, cet auteur donne des éléments significatifs sur les rapports que les écrivains et peintres “beatnik” (Corso, Ginsberg,, Burroughs ou Rivers, par exemple) auraient entretenus, entre 1959 et 1963, avec les conceptions du Mouvement lettriste.

Ces vues sont également celles que développe Greil Marcus, dans son Lipstick traces. A secret history of the twentieth century (Ed. Harvard University Press, 1990 (pp 247-277).

(6). Les sources réelles de l’Internationale situationniste et ses relations premières avec le Mouvement Lettriste — que Debord avait côtoyé, en 1952, avant de créer l’Internationale lettriste —, de même que son étude critique envisagée à travers la Création, dans l’économie, les arts, l’éthique, etc., ont été décrites et exposées par Isidore Isou,en 1960, dans L’Internationale situationniste, un degré plus bas que le jarrivisme et l’englobant, publié dans “Poésie Nouvelle’, n°13.

Dans cet écrit se dévoile et s’affirme ce que beaucoup, encore aujourd’hui, péniblement et incomplètement, “découvrent” ou “retrouvent”, à savoir que les concepts emblématiques de l’I.S. — la mort de l’art, le détournement, la dérive, etc. — ont été repris du lettrisme pour êtres offerts dans des interprétations et des prolongements confusionnismes et simplistes, sinon burlesques.

(7).Les détails des actions entreprises ou suscitées au cours de cette période par le Mouvement lettriste sont donnés, presque au jour le jour, par Isidore Isou, dans La Stratégie du Soulèvement de la Jeunesse (1949-1968), paru, en novembre 1968 aux éditions CICK (pp42 à 101).

A l’exception de Patrick Ravignant qui, dans son ouvrage La Prise de l’Odéon, témoigne de l’intervention d’Isidore Isou sur la scène occupée du Théâtre dirigé par Jean-Louis Barrault, l’ensemble des commentateurs semble, aujourd’hui encore, ignorer ou passer sous silence, non seulement ce que la “révolution” de mai 1968 doit au Traité d’économie nucléaire — dont, rappelons-le, le sous-titre, à sa sortie, en 1949, était “Le Soulèvement de la Jeunesse” —, mais, également, l’action suivie et constructive des lettristes et des partisans de ses conceptions politiques au cours de la préparation de cette “révolution” et de son déroulement.

“(...) Isidore Isou qui, toute une soirée, a essayé de s’imposer au public de l’Odéon comme son “chef”, en expliquant méthodiquement et “mathématiquement” qu’il était le maître à penser, le fondateur, l’origine et la cause de tout le mouvement révolutionnaire actuel, et que tous les ordres, concernant aussi bien les combats de rue que la liaison avec les travailleurs ou les prises de position politique n’émanaient ni du vingt-deux mars de Cohn-Bendit, ni de l’UNEF et de Sauvageot, ni du SNESup et de Geismar, mais, bien de lui, et de lui seul, Isidore Isou, créateur du Lettrisme, de l’Economie nucléaire (...), lui seul ayant depuis vingt ans prévu cette révolution (ce qui d’ailleurs est bien loin d’être faux, il suffit de lire le remarquable Soulèvement de la Jeunesse pour s’en convaincre.” (Patrick Ravignant, La Prise de l’Odéon, Ed. Stock, pp.91-92). Cité par Isidore Isou dans Introduction à la psychopathologique (1968), Ed. EDA, 1985 (p. 101).

(8).L’Enseignement et le mouvement des créateurs modernes. NGL, n°1, 1970 ; Le Mouvement novateur devant l’éducation permanente. NGL, n°2, 1970 ; Le Soulèvement de la jeunesse et la classe ouvrière. NGL, n°3, 1970 ; Le Soulèvement de la jeunesse et le patronat, suivi de L’Expropriation permanente et pacifique et la propriété créative de la société juventiste et créatrice. NGL, n°7, 1970 ; Le Soulèvement de la jeunesse et la paysannerie. Front de la jeunesse, n°11 et 12, 1972-1973.

(9). Histoire du Socialisme (du Socialisme primitif au Socialisme des créateurs), suivi de Manifestes pour le Soulèvement de la Jeunesse. Ed. Scarabée and Co, Paris, 1984.

(10). Un article lu dans la presse, peu après l’achèvement de ce texte, confirme cette vue. Longtemps équivoque sur les buts des manifestations de mai 1968, avec le recul, Daniel Cohn-Bendit affirme aujourd’hui: “ J’ai l’impression qu’en mai 1968, nous les révolutionnaires, on a méprisés le fantastique travail de réflexion qu’on fait des dizaines de milliers d’élèves et d’étudiants. Ceux-là travaillaient à changer concrètement l’école et l’université, alors que nous autres, nous voulions changer abstraitement le monde et la société.” (Cité par Libération, daté des 6 et 7 mars 1999).

Malheureusement, lui, Cohn-Bendit, et les “révolutionnaires” ne se sont pas contentés de mépriser le seul “fantastique travail de réflexion de dizaines de milliers d’élèves et d’étudiants”, mais aussi, et surtout, le “fantastique” travail de création et les propositions inédites qui en résultent, concrètes et abouties, propagées, au moins, en France, depuis 1949, des quelques rares novateurs de l’Economie nucléaire, défenseurs des conceptions du Soulèvement de la jeunesse, et dont, notamment, un des axes majeurs, fondamentaux, étaient - et demeurent encore, aujourd’hui - la transformation et le changement concret des contenants et des contenus des écoles et des universités.

(11). Revue Ô, n°H, 1966.

(12). 4 fascicules publiés en 1970 et 1971. Auteur-éditeur I.Isou.

(13). Lettrisme, n°13-15, 1973.

(14). La Créatique ou la Novatique, 9 Tomes photocopiés et corrigés par l’auteur. Dépôt légal à la Bibliothèque Nationale, 1976-1977. Publié en 2003, en un volume unique, par les Editions Al Dante.


Ce texte, rédigé en juin 1998, a été publié aux Editions Al Dante, en 2004, comme postface de « Les Manifestes du Soulèvement de la Jeunesse (1950-1966) » de Isidore Isou. Auparavant de larges extraits avaient été insérés dans la bande-son du film « Petits pas vers la résolution », réalisé par l’auteur en 1998.

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BIBLIOGRAPHIE D’IIDORE ISOU DANS L’ECONOMIE

GENERALE ET L’ECONOMIE NUCLEAIRE


Lettrisme et Révolution de la Jeunesse (Hikma n° 2, 1948).

Isidore Isou, Traité d’Economie nucléaire, Le Soulèvement de la jeunesse.

Tome 1: Le problème du bicaténage et de l’externité, Escaliers de Lausanne, 1949;

Tome 2: La dynamique de la créativité pure et détournée, CICK, 1971;

Tome 3: La solution du protégisme juventiste, CICK, 1971;

Suppléments au Soulèvement de la Jeunesse (1944-1953)

Tome 1: Le désir paradisiaque de l’externité. Ebauche d’une économie nucléaire, CICK, 1972;

Tome 2: Supplément de la Créativité pure, CICK 1972:

Tome 3: Supplément de la Créativité détournée, Ed. Broutin, 1986

Lettre à Jacques Duclos sur les intellectuels du parti (Soulèvement de la Jeunesse, n°3, 1952)

Notes et articles sur la jeunesse (Front de la Jeunesse, Soulèvement de la Jeunesse, Ur, enjeu, Union de la Jeunesse, Courrier du parlement, Combat, Figaro 1972, Monna Frères 1976).

Le centre de plein emploi (Front de la Jeunesse n°2, 1955).

La Productivité et la Créativité (Almanach Hachette, 1957).

La Théorie nucléaire de la monnaie et de la banque (ed. Isou, 1966).

Le Front de la Jeunesse et les Gardes rouges chinois (Soulèvement de la Jeunesse n°1, 1966).

Projet d'une école nouvelle (CRL, n°13, 1966).

La Théorie nucléaire de la planification (Librairie anglaise, 1967)

L'école actuelle est une école sclérosée (Centre de créativité, 1967).

Les manifestes du soulèvement de la Jeunesse (19501966) (Centre de Créativité, 1967).

Pour un nouveau parti sioniste (centre de Créativité, 1967).

Pour vous sauver de l'abrutissement ou Introduction au cours des créateurs (L'École des créateurs, 1968 et Lettrisme n°23, 1972).

Entre Isou et Marcuse (Soulèvement de la Jeunesse n°5, 1968).

L'enseignement et le mouvement des créateurs modernes (NGL, n°1, 1970).

Le mouvement novateur devant l'éducation permanente (NGL, n°2, 1970).

Le soulèvement de la Jeunesse et la classe ouvrière (NGL, n°3, 1970).

Le soulèvement de la Jeunesse et le Patronat, suivi de l'Expropriation permanente et pacifique et la propriété créative et de la Société juventiste et créatrice, paradisiaque, au-delà du bagne de la société socialiste et communiste (NGI, n°7, 1970),

La conception nucléaire (juventiste) de la planification (NGL, n°8, 1970).

Le Soulèvement de la Jeunesse devant l'anarchie (La rue, n°8, 1970).

La stratégie du Soulèvement de la Jeunesse (19491968) (CICK, 1968).

Lettre ouverte à F. Mitternand (Front de la Jeunesse n°1, 1972).

Les programmes de la gauche (Front de la Jeunesse n°4, 1972).

L'apport du Lettrisme et du Juventisme au Mouvement de libération des femmes (Lignes créatrices n°6, 1972).

Appendice sur les études sociologiques des bandes d'adolescents suivi de Deux notes sur les tentatives de suicide chez les adolescents et d'une note sur les erreurs du comnunisme (Ligne créatrice n°7-9, 1972).

Note sur les évènements politiques de 1949 à 1970 (Ligne créatrice n°IO12, 1972)

L'économie nucléaire et la Kladologie devant la monnaie et l'or (1967-1973) (Front de la Jeunesse, 1973). Contre les politiciens professionnels, suivi de Note sur le parti communiste chinois (Front de la Jeunesse n°67, 1972» .

Histoire des théories des crises économiques, suivie de quelques notes sur l'organisation économique (Front de la Jeunesse n°810, 1972).

Le Soulèvement de la Jeunesse et la paysannerie (Front de la Jeunesse n°11-12, 19721973).

Histoire du socialisme (du socialisme primitif au socialisme des créateurs) suivi de Manifestes pour le Soulèvement de la Jeunesse (Scarabée and Co, 1984). 

Les conceptions et les buts du Soulèvement de la Jeunesse et de l'économie nucléaire (Mai 1987, conférence à L’uninversité). Ed. EDA, Paris, 1988.

Les Manifestes du Soulèvement de la Jeunesse. (1950-1966). Postface de Roland Sabatier Ed. Al Dante, 2004


Autres œuvres d’Isidore Isou publiées aux EDITIONS AL DANTE

Livres :

Mes définitions de l’œuvre de Jean Cocteau (2000)

Réflexions sur André Breton (2000)

La Créatique ou la Novatique 1941-1976 (2004)

Disques :

Musiques lettristes (CD, 2001)

Juvenal : symphonie n°4 (CD, 2004)








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